Va te faire voir chez la génération Y

Va te faire voir chez la génération Y


Un énième article sur la « génération Y » ? Oui mais cette fois-ci, il est écrit par quelqu’un de la génération Y, qui en a un peu marre de lire des poncifs étalés dans tous les journaux dont c’est devenu le marronnier. Toi, l’éditorialiste baby-boomer qui vends du papier en essayant d’expliquer un phénomène en le packageant avec un nom vendeur, ou toi, le patron qui essayes de comprendre cette génération à gros coups de cabinet conseil qui te parlera de la-génération-hyper-connectée-avec-un-casque-sur-les-oreilles, économise ton argent, suis-moi, et je vais t’expliquer de quoi il retourne vraiment.
Génération Y ? Qui sont-ils, quels sont leurs réseaux ?
La génération Y, c’est un terme fourre-tout pour désigner une tranche d’âge qui englobe en gros les personnes de 20 à 35 ans, et à laquelle on prête des traits communs, car il est bien connu que toute une tranche d’âge partage exactement les mêmes traits. Il est possible que toutes ces personnes aient vaguement un smartphone et se servent d’internet. Bon, comme tout le monde aujourd’hui quoi. Je te fais grâce des autres prétendus attributs de la Gen Y, tu as déjà un PPT (du cabinet conseil sus-cité) qui les liste tous.
Comment les manager ?
Si tu as appelé un cabinet à la rescousse, ou que tu te gaves d’articles en ligne sur le sujet, c’est souvent que tu ne « comprends pas » cette génération, ce qui ne serait pas du tout problématique si tu ne travaillais pas avec.
Alors grande question, comment on manage ces gens-là ?
Si tu as bien regardé les slides, tu auras vu que lagénérationigrec, c’est avant tout la « génération Dolto », que tu traduiras par « enfant roi », même si ça n’est pas du tout le propos de Dolto qui a plutôt proposé de traiter l’enfant comme une personne à part entière. C’est également la génération sans cadre, qui ne sait pas arriver à l’heure, qui a sans-cesse des écouteurs sur les oreilles au travail, qui va demander des congés sans solde pour partir au bout du monde au lieu de penser à son avancement, qui va refuser des heures supplémentaires, et qui n’a même pas connu le service militaire ! Comment gérer tout ça ? C’est sûr qu’il est plus facile de tout mettre dans une même boite de « génération Y mal élevée », de se dire que « tout fout le camp » et que l’on ne comprend plus rien. Et si au lieu de se dire que c’était le fruit d’une génération qui agissait comme une entité consciente et autonome qu’on pourrait diriger avec des recettes toutes faites, on essayait de comprendre ce qui a engendré tout ça ?
Oubliez cette histoire de génération.
Englober autant de monde dans une tranche d’âge approximative devrait déjà être un indice de la vacuité des analyses qui en découlent. Il y a autant de différence d’âge entre une personne de 20 ans et une autre de 35 qu’entre une de 35 et une de 50 ans, et pourtant c’est les 2 premiers qu’on va coller dans un grand sac pour analyser leurs comportements. La génération Y est un fantasme de journaliste, et les individus qui la composent ne réagissent pas comme un seul homme, tout comme les baby-boomers ne font pas tous la même chose. Globalement, pour les plus jeunes, le « problème » est qu’il s’agit de jeunes, et que donc globalement vous aurez du mal à les comprendre. On est en plein dans la chanson des bourgeois de Jacques Brel, ou du Boulevard du temps qui passe de Georges Brassens. C’est immuable. On pourrait résumer ça par une citation des Simpsons (une série animée avec des bonshommes jaunes)
I used to be with it, but then, they changed what it was. Now what I’m with isn’t it, and what’s it seems weird and scary to me. It’ll happen to you…
Pensez au contexte
Une fois évacuée cette histoire de fossé de générations, on peut essayer de comprendre ce qui fait que les salariés actuels à un niveau hiérarchique donné, agissent de la façon dont ils agissent. Bien souvent il ne s’agit pas de « je m’en foutisme » ou de « nouveaux usages », mais simplement d’une adaptation au contexte actuel. On pourrait résumer ça comme du Darwinisme d’entreprise. Le fait est que ça va plus toucher une certaine tranche d’âge, car cette tranche d’âge est à un échelon de l’entreprise plus ou moins homogène, alors que les plus anciens sont un échelon au dessus. Le contexte actuel, c’est la crise, le chômage de masse, et peu de perspectives d’avenir dans un schéma « classique ». Si un « jeune » ne va pas « faire le tour des boites pour déposer son CV et essayer de trouver du travail », ça n’est pas par flemme, mais bien souvent car il sait qu’il n’obtiendra aucune réponse. Il faut simplement admettre que les critères qui étaient en vigueur du temps de ta recherche d’emploi ne sont plus les mêmes actuellement. Les personnes confrontées à cette situation ont donc développé des mécanismes pour s’adapter à ce contexte, et nous allons les passer en revue.
Les us et coutumes étranges de la génération Y
Passons à la pratique, et étudions les quelques poncifs qu’aime à reprendre la presse, sauf qu’au lieu de te livrer une analyse digne de Psychologie Magazine, je vais te révèler les véritables arcanes de ces rituels barbares.
Il a ses écouteurs sur les oreilles en permanence !
C’est vrai que dans l’openspace, on voit fleurir… PAUSE. REWIND. Le mot clé était openspace. Vous nous avez sucré nos bureaux pour économiser de l’argent en expliquant que l’openspace c’était bien plus cool, et là vous vous demandez pourquoi des gens plongés dans un brouhaha constant mettent des casques sur les oreilles pour travailler ? Sérieusement ?
Ils ne respectent pas les horaires le matin !
Ça n’est pas une histoire de génération, mais de 35h (salauds de la génération 68 !!). La règle, dans les entreprises, c’est plutôt de ne pas payer les heures sups. Or, le salarié sait qu’il va de toutes façons rester au moins jusqu’à 18h30, sous peine de se voir demander si il a posé son après-midi. Donc pour se rapprocher des 7h/jour, il arrive à 10h du matin. Et encore, il devrait arriver à 10h30. Donc quelque-part, tu râles, mais au fond de toi tu sais que c’est une histoire de mathématique, et pas de dernière voyelle de l’alphabet. Tu te dis que quand même, si il se défonçait un peu pour son travail, il pourrait monter en grade ou avoir une augmentation… un jour. Mais hé, on lui a déjà fait le coup.
Et en plus ils partent tôt !
Les raisons sont les mêmes que ci-dessus, avec un facteur en plus. La mixité pour l’exécution des tâches parentales est de plus en plus importante. Du coup (et c’est heureux) fini le fantasme de l’homme qui peut toujours « terminer tard ». Il y a des horaires de crèche, des enfants à aller chercher. Pareil pour les gardes d’enfants malades.
Il nous lâche pour un congé sans solde pour faire le tour du monde, en délaissant sa carrière !
Le truc, c’est que les règles du jeu sont globalement pipées, et que « carrière » au sein de la même boite est de plus en plus un mot creux. Les petits malins ont bien compris que le gars qui part 1 an à l’étranger, puis revient dans une autre boite, bénéficiera d’un effet « le Messie revenu sur Terre » et aura une hausse de salaire bien plus importante que le salarié fidèle qui attend toujours la fin du « gel des augmentations » et de « l’austérité budgétaire tu sais en ce moment… »
Il fait passer son confort avant le travail ! Les valeurs se perdent !
Salaud de jeune :) ! Dans un contexte morose, nous sommes tout à fait conscients que l’entreprise ne nous apportera pas d’épanouissement particulier, peu de perspectives, et que nous sommes une variable d’ajustement relativement précaire. Devant une société qui nous fait des promesses sans les tenir, de stages en CDD à répétition, il est normal que notre confiance dans l’entreprise soit brisée. Nous choisissons donc d’investir dans une valeur plus stable : notre vie. Certains chefs d’entreprises se plaignent de la culture de « mon contrat de travail dit que… » et du « c’est pas dans ma description de poste ». Quand nombre d’entreprises se retranchent derrière les moindres aspérités de la législation pour générer des bénéfices (pôles entiers de stagiaires, détournement des notes de frais, négociations biaisées des salaires…) comment reprocher aux salariés d’être devenus regardants sur l’engagement qui les lie à leur employeur ? (d’autant qu’avec l’écroulement de l’adhésion aux syndicats, nous sommes de plus en plus isolés).
Un problème générationnel, mais pas inhérent à une génération précise.
S’il y a un fossé générationnel, il n’est dû qu’au différentiel entre « jeunes » et « vieux », comme il a toujours existé, et non pas à une déliquescence d’une génération particulière. Au delà de ce fossé qui perdurera toujours, il s’agit juste d’une adaptation à une certaine conjoncture, qui touche toutes les générations, comme tend à le prouver une enquête de François Pichault, professeur à HEC et à l’université de Liège :
On a mené une enquête comparative en posant les mêmes questions auprès de 900 personnes sur trois générations. Les trois vous disent qu’elles veulent un travail qui a du sens et trouver l’équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle… Les différences sont minimes !
Maintenant tu sais.
Tu sais que chaque individu est différent, qu’il n’y a pas forcément de caractéristiques communes à une tranche d’âge, et que ce que tu appelles « la génération Y », c’est simplement la jeunesse qui a des usages différents des tiens, comme tu avais des usages différents de la génération qui t’a précédée. Certaines personnes agissent d’une certaine manière pour s’adapter à la société (que tu as forgée), indépendamment de leur tranche d’âge, c’est du Darwinisme élémentaire. Certaines personnes sont fiables, d’autres non. Si des employés agissent d’une certaine façon, avant d’appeler au secours un cabinet conseil, essaye de comprendre dans quel contexte ils évoluent, et quelles sont les causes de cette façon d’agir. Je te comprends, il est plus facile de mettre les agissements de ces personnes sur le compte d’une certaine éducation, et de mettre tout dans un grand sac que tu étiquetteras « Génération Y ». Mais maintenant tu sais que c’est une mauvaise approche, et tu pourras essayer d’isoler les causes de ces comportements pour y faire face, le tout sans dépenser un centime. Maintenant laisse-moi t’expliquer à quel point la génération Z est une génération de dégénérés incompréhensibles, avec leurs snapchats et leurs téléphones à réalité virtuelle.
And get off my lawn !
crédit photo : savespendsplurge
par Julien Dubedout le 16 avril 2014


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